« Nous ne sommes pas focalisés sur la technologie, mais autour des usages » ces propos sont ceux du PDG de SFR présentant, le 4 octobre 2007, l'offre de convergence téléphone fixe – téléphone mobile lancée par sa société. Lorsqu'on sait que cette offre articule la téléphonie GSM et la Voix sur IP – l'utilisation de l'Internet pour faire transiter la voix – et donc repose sur des techniques relativement avancées cette affirmation interroge. Qu'est-ce qui peut conduire un manager, dans le cadre d'une opération éminemment commerciale – le lancement d'une nouvelle offre – à récuser la technologie pour mettre ainsi l'accent sur les usages ? Peut-être la terminologie peut-elle nous apporter une clé ?
Usage, technique, technologie .... essais de définition.
Le terme « usage », qui est le dérivé savant du latin classique « usus » apparaît au XII ème siècle, il recouvre principalement trois acceptions que l'on peut décliner ainsi :
- une pratique, manière d'agir ancienne et fréquente, ne comportant pas d'impératif moral, qui est habituellement et normalement observée par les membres d'une société déterminée, d'un groupe social donné : « l'usage du monde »
- le fait de se servir de quelque chose, d'appliquer un procédé, une technique, les synonymes : emploi, utilisation,
- dans le domaine du langage, la mise en œuvre de l'ensemble des règles qui caractérisent la langue effectivement pratiquée par la majorité des usagers d'une communauté linguistique, correspondant à un groupe social donné et à un moment déterminé, c'est aussi l'ensemble des prescriptions constituant un modèle socioculturel. « Le bon usage » de Grévisse
Le terme « technique », emprunté, plus tardivement (XVII ème siècle), au latin « technicus » (qui signifie maître d'un art), lui-même dérivé du grec « teknikos », ( industrieux ) , présente, en outre, la particularité d'être adjectif et substantif, il a, lui aussi, trois acceptions principales :
- un ensemble de procédés propres à une activité et permettant d'obtenir un résultat concret.
- un ensemble de procédés méthodiques reposant sur des connaissances scientifiques et permettant des réalisations concrètes.
- l'ensemble des procédés individuels propres à une personne, en particulier à un artiste.
Le terme « technologie », emprunté au grec tardif « teknologia », d'apparition plus tardive en français (XIX ème siècle) est également un terme qui revêt trois acceptions :
- Ensemble de termes techniques propres à un domaine, à une science, à un métier.
- Science des techniques, étude systématique des procédés, des méthodes, des instruments ou des outils propres à un ou plusieurs domaine(s) technique(s), art(s) ou métier(s)
- par métonymie c'est technique, ensemble de techniques, cette acception tend à être employée par anglicisme, « technology », pour désigner une technique de pointe.
Si l'on applique ces définitions à la déclaration du PDG de SFR, nous pourrions l'interpréter ainsi : « nous ne sommes pas focalisés sur une technique de pointe mais sur le fait d'employer le téléphone ». Sachant que cette offre s'adresse aux entreprises (les PME dans ce cas précis), que celles-ci ont, pour la plupart, une problématique de consommation téléphonique, de convergence entre le téléphone fixe et le téléphone mobile mais que, pour autant, les opérateurs ont du mal à leur « vendre » la technologie de la voix sur IP, jugée complexe et insuffisamment aboutie, on perçoit l'habileté de ce discours : « optez pour notre offre on s'occupe du reste ». Bien sûr cette forme de délégation a un coût....
Usage, technique, technologie ... convergences
S'agissant de l'Internet le mot usage peut recouvrir les 3 acceptions du terme :
- pour le premier, la pratique, il recouvre le caractère social de cet outil,
- pour le second, l'emploi, il recouvre les contenus apportés par le web,
- pour le troisième, la mise en oeuvre des règles, il correspond à l'ensemble des protocoles techniques nécessaires à sa mise en oeuvre.
Ainsi, pour la première acception, pourrait-on parler de l'usage du site FaceBook (http://www.facebook.com/ ), qui met en relation des individus en fonction de leur personnalité, de leurs centres d'intérêt, pour la seconde, l'usage de Wikipedia (http://fr.wikipedia.org/ ou http://en.wikipedia.org/) , correspondrait à un apport en contenus, pour la troisième, le site du W3C, (http://www.w3.org/ ). Bien sûr, cette distinction est réductrice : il y a du social dans le projet Wikipedia, comme dans les objectifs du W3C, les protocoles que met en oeuvre FaceBook sont relativement élaborés et Wikiipedia repose sur 246 serveurs dans 4 pays, enfin le W3C, lorsqu'il impulse des projets tels que le "web sémantique" s'intéresse évidemment aux contenus.
Si l'on applique à l'Internet le même traitement à partir du mot technique ne parvient-on pas au même constat ?
- Le sens « ensemble de procédés propres à l'activité» correspond à l'approche par les protocoles,
- le sens « ensemble de procédés méthodiques » correspond aux créations de l'intellect, aux contenus,
- le sens « ensemble des procédés individuels propres à une personne » correspond à l'approche sociale.
Quant aux technologies, depuis quelques temps déjà, elles ne sont plus « nouvelles », pour autant leur développement en fait-elle toujours des « techniques de pointe » ?
Les glissements de sens sont évidemment toujours liés aux prises de conscience relative aux concepts, à leurs appropriations ou aux représentations qui en sont attendues. Nous avons donc tout intérêt à interroger les concepts sans nous arrêter aux effets de mode ou aux usages cosmétiques des campagnes marketing
Ne pourrait-on pour conclure citer Yves Jeanneret (Y-a-t-il (vraiment) des technologies de l'information ? Villeneuve d'Ascq, France : Presses Universitaires du Septentrion, 2007, 200p (Les savoirs mieux)) : « En parlant d' « écrit d'écran » et en ouvrant une discussion critique sur la façon même de décrire cet objet (nous essayons) de lutter contre une certaine colonisation terminologique du discours de recherche par le discours promotionnel. Non par principe mais parce que cette colonisation a pour effet de masquer la nature de ces objets (....) pouvons-nous transiger sur les mots de notre connaissance» ?
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